Prix du carburant : « Une “fiscalité élastique” contribuerait à lutter contre l’inflation et les phases de ralentissements économiques »

Tribune publiée dans Le Monde

Les deux économistes Patrice Geoffron et Quentin Perrier proposent, dans une tribune au « Monde », de faire varier les taux de la fiscalité de façon inverse au prix du carburant, afin d’aider les plus modestes en période de hausse et inciter à la sobriété en période de baisse.

En cet automne 2023, cinquante ans après le choc pétrolier d’octobre 1973, sont apparues de nouvelles tensions sur le prix du baril et un énième stress à la pompe. Ce nouveau choc s’inscrit dans une longue série : 1979, 1990, 2000, de 2002 à 2006, 2008, 2011, 2018, 2022, autant d’années où le prix du baril a augmenté d’au moins 50 %. La gestion et la prévention de ces crises apparaissent ainsi comme une composante essentielle des politiques énergétiques et climatiques.

L’épisode 2023 remet une lumière crue sur le double défi de l’action publique : renforcer les politiques de décarbonation, tout en protégeant les consommateurs des hausses de prix trop brusques. Concernant ce second impératif, on ne peut faire le reproche de l’inaction au gouvernement. En 2022, des ristournes massives auront été octroyées à la pompe (jusqu’à 30 centimes par litre, abondées à hauteur de 20 centimes le litre supplémentaire par TotalEnergies).

En 2023, il a même été envisagé d’autoriser la vente à perte, avant d’enjoindre les distributeurs à céder les carburants à prix coûtant. Pour atténuer ces tensions, un audit de la fiscalité des carburants s’impose. En ouvrant cette boîte, il s’avère d’emblée que ces taxes répondent mal aux enjeux liés à la volatilité des prix à court et moyen termes, comme l’a rappelé la crise des « gilets jaunes ».

Taxe élastique, un barème reliant le taux de taxe au prix du baril

Le choc de 2018 a certes conduit à pointer la hausse de la taxe carbone ; mais, on a occulté que, dans un contexte de doublement du prix du baril depuis 2016, la TVA a amplifié cette hausse, exacerbant les tensions sociales. Est-il nécessaire de maintenir un taux élevé de taxe quand les prix du marché s’envolent ? Non, car c’est bien le prix à la pompe qui oriente les comportements, et pas le taux de taxe. Et quand les prix s’effondrent, ne faudrait-il pas en revanche augmenter ces taux pour maintenir l’incitation à décarboner ? Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Taxe sur les pétroliers : divergences entre le ministère des finances et la majorité parlementaire

Notre proposition consiste à moduler la fiscalité en fonction des prix du baril. En cas de hausse de ces prix, le taux de fiscalité serait réduit, atténuant l’impact sur le consommateur. Inversement, en cas de baisse des prix, le taux de fiscalité augmenterait. Le terme d’« élasticité » est un concept usuel en économie pour désigner l’intensité de la réaction d’une grandeur à une variation de prix. Lire aussi : Le gouvernement prolonge l’aide « carburant » de 20 centimes par litre pour les pêcheurs jusqu’au 4 décembre

C’est pourquoi il nous semble approprié de parler ici de « fiscalité élastique ». Cette taxe élastique prendrait la forme d’un barème reliant le taux de taxe au prix du baril, voté lors des lois de finances. Utiliser un barème plutôt qu’un taux fixe n’est pas entièrement nouveau : il s’apparente à ce qui est déjà pratiqué depuis 2008 pour le bonus-malus automobile, dont le montant dépend des émissions de CO2 par véhicule.

Améliorer l’acceptabilité de la fiscalité des carburants

Chaque année, le Parlement modifierait ce barème en fonction de ses objectifs en termes de décarbonation, d’efforts demandés aux automobilistes et du pilotage des recettes fiscales pour l’année à venir. Des simulations quantitatives montrent qu’avec une taxe suffisamment élastique, le prix à la pompe n’aurait pas dépassé 1,75 euro le litre en 2022. Si un tel dispositif avait été mis en œuvre à partir de 2010, il aurait eu un coût brut de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an pour les finances publiques.

Mais cette estimation est le haut de la fourchette, car elle n’inclut pas de pilotage annuel par le Parlement. Et surtout, ce coût doit être mis en regard des autres mesures d’urgence actées à cause de la rigidité de la taxe actuelle : les ristournes de 2022 ont coûté 8 milliards d’euros, et le gel de la taxe carbone en sortie de mouvement des « gilets jaunes » a débouché sur 100 milliards de manque à gagner à l’horizon 2030. En outre, une fiscalité élastique contribuerait à lutter contre l’inflation et les phases de ralentissements économiques par son caractère contracyclique, avec tous les effets positifs d’un tel stabilisateur automatique sur l’emploi et les finances publiques.

Sur la période 2010-2023, on peut donc estimer qu’une taxe élastique aurait eu un bilan net positif sur les finances publiques, une fois tous les paramètres pris en compte. Bénéfice ultime, cette « élasticité » améliore l’acceptabilité de la fiscalité des carburants pas nos concitoyens et priverait ainsi d’un argument certains partis qui, faisant fi des finances publiques aussi bien que du climat, promettent simplement une baisse massive de la TVA.

Patrice Geoffron (professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine-PSL) et Quentin Perrier (chercheur en économie du climat)


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